Si le corps est bien au centre de la
pratique du yoga, ce dernier est une sagesse bien plus large qu’un
ensemble d’exercices corporels. Grâce à une observation fine de l’homme par
l’homme et de la souffrance inhérente à sa condition, le yoga cherche à le
libérer en l’aidant à retrouver une unité.
Le yoga naît dans des milieux de penseurs qui veulent comprendre
pourquoi l’être humain est malheureux, instable, malade, et qui attribuent ce
mal-être à une séparation avec l’essentiel, à un état de division, de dispersion.
L’existence est placée sous le signe d’une perte, d’un exil de la dimension
divine, de l’harmonie cosmique, de l’empathie avec soi et les autres. Le yoga
propose alors de se réunifier, de se recentrer pour retrouver de la stabilité.
Cette sagesse, cette philosophie de la médiation corporelle
s’appuie sur une tradition orale puis écrite. D’abord les Upanishads, composés
entre le VIIIe et le IIIe siècle avant notre ère. Puis la Bhagavad Gîta et son
puissant guerrier, mi-homme mi-dieu, en prise avec le doute, la crise
existentielle au milieu du champ de bataille où sa mission est de défendre son
peuple. Sa rencontre avec Krishna, une des incarnations du dieu Vishnou, va le
conduire vers une sagesse de l’action, le karma-yoga. Arjuna entre dans une
démarche libératrice qui le réconcilie avec sa vocation et lui permet de
rencontrer le divin ». Ici, « yoga » est dans le sens de discipline, d’ascèse.
Mais c'est autour de notre ère que le yoga va vraiment se
structurer grâce à l'apparition d'un texte majeur, les Yoga-sûtra, de
Patañjali. On sait peu de chose sur l'auteur. Mais, en 195 aphorismes, appelés
sûtra, Patañjali a réuni des connaissances plus anciennes et développé un
véritable enseignement pratique et philosophique. Son premier sûtra propose une
définition : « Le yoga est la cessation ou la suspension des fluctuations du
mental. » Puis il accompagne le lecteur dans un parcours en huit étapes, que
l'on appelle les huit « membres du yoga ». Le premier se nomme yama, en
sanskrit. Il propose des observances utiles à la vie en société, qui
constituent les principes de l'éthique du yoga : la non-violence, dire la
vérité, ne pas voler, la fidélité à un engagement et l'absence du sens de la
possession, c'est-à-dire le fait de ne pas vouloir plus que ce dont nous avons
besoin. Une sorte de « sobriété heureuse » chère à l'essayiste Pierre Rabhi. Le
deuxième principe est niyama, la discipline personnelle : les règles à suivre
comme la propreté, le contentement et la sérénité, l'ardeur dans l'engagement,
la connaissance de soi et le fait de distribuer les fruits de l'action au
courant de la vie, de ne pas les garder pour soi. Le troisième membre est
asana, le plus connu, puisque c'est celui des postures. Le quatrième,
pranayama, se concentre sur le souffle, l'apprentissage de la respiration. Les
quatre étapes suivantes engagent un travail sur soi plus approfondi :
pratyahara, le retrait des sens ; dharana, la concentration ; dhyana, la
méditation et samâdhi, l'éveil.
Ce chemin du yoga se parcourt au contact d'une personne
vivante et formée. La transmission orale d'un professeur à un élève reste
irremplaçable, dans le respect de l'autonomie de l'autre, et peut s'accompagner
d'une lecture personnelle des textes. Mais chacun emprunte cette route à son
rythme en cherchant le yoga qui lui convient. Il n'y a pas un yoga, qui serait
breveté, traditionnel, orthodoxe, mais des yogas plus physiques, des yogas plus
méditatifs qui s'appuient sur la vibration sonore ou la visualisation de formes
et de couleurs, des yogas dévotionnels dans lesquels on se concentre sur une
divinité ; des yogas de la connaissance afin de discipliner l'ego et l'esprit.
Dénué d'esprit de compétition, le yoga ne cherche pas à réaliser
une performance. Il s'inscrit donc à contre-courant des injonctions du toujours
plus - plus vite, plus fort, plus jeune. En nous faisant vivre notre corps
autrement et accéder parfois à une clarification du mental, il est une
véritable école de l'attention au geste, au souffle et à nos perceptions
sensorielles au quotidien. Ses vertus sont immenses mais il n'est pas une
thérapie. Il peut avoir des effets thérapeutiques par une pratique régulière.
C'est naturellement grâce à une meilleure harmonisation du corps et de l'esprit
qu'il nous permet d'être en meilleure santé, de mieux gérer nos émotions,
d'apprivoiser la souffrance. Il rend plus heureux, plus libre : sa finalité est
plus vaste qu'un projet thérapeutique.